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O’ border - Entre Turquie et Bulgarie, anticiper le cycle du territoire transfrontalier

- Travail de fin d'étude // ENSP Versailles // Dirigé par Marc Pouzol -




L’actualité brûlante de la migration est renforcée par une peur omniprésente de l’autre, de l’extérieur. L’Union européenne, dont la libre circulation est l’un des piliers fondateurs, est aujourd’hui encadrée et traversée par des frontières extérieures de plus en plus en plus armées et défensives. Les routes migratoires sont au cœur des politiques internationales et les résultantes sur les territoires en sont d’autant plus fortes. L’exemple de la frontière Turco-Bulgare, passage vers l’Europe, est flagrant. Elle est devenue en quelques années un carrefour migratoire des plus important et l’une des frontières les plus surveillées de l’Union. Un mur de 160 km la longe et un nouveau corps de gardes-frontières vient d’être mis en place, surplombant l’autorité déjà très contestée de FRONTEX.

C’est ici, sur ces deux pays riverains et rivaux depuis des siècles que je me positionne.



1 - De la porte au mur de l’Europe

Quand la frontière fait paysage

La Convention européenne du paysage indique :

« Les Parties s’engagent à encourager la coopération transfrontalière au niveau local et régional et, au besoin, à élaborer et mettre en œuvre des programmes communs de mise en valeur du paysage » (Article 9 – Paysages transfrontaliers).

Ces différentes dimensions de la frontière invitent le paysagiste à élargir la définition très géopolitique dans une définition géographique. La frontière est donc un objet géographique séparant deux systèmes territoriaux contigus[1]. Cet objet ne se résume pas seulement à une limite, car il a des incidences sur l’organisation d’un espace que j’appellerai leterritoire frontalier. Il intègre trois dimensions. Une dimension politique, c’est-à-dire ce qui touche à la structuration d’une société, une dimension symbolique, car il est reconnu par un ensemble d’acteurs du territoire et sert de marqueur de l’espace et enfin une dimension matérielle qui s’inscrit dans le paysage par une succession d’infrastructures.

Dans un territoire frontalier séparé par un mur, les usages sont modifiés. Les interrelations sont supprimées, les échanges réduits à leur minimum. L’espace est contrôlé, les déplacements surveillés. Ce territoire, dont les usages façonnent l’espace, est scindé. Un espace de no man’s land plus ou moins strict s’installe. Le cycle propre du territoire est altéré.

C’est dans ce territoire frontalier que le paysage peut être vecteur de liens. Le paysage peut proposer d’accompagner puis de cicatriser ces lieux. Il peut anticiper la chute et préparer à la rencontre.


Le Mur Turco-Bulgare : Un mur à la porte de L’Union européenne

Pendant l’hiver 2013, l’Europe fait face à une crise migratoire importante. En Bulgarie, 10 000 migrants principalement venus de Syrie et d’Afghanistan traversent illégalement la frontière. Le gouvernement a placé alors un policier tous les 100 mètres, réquisitionnant ainsi 1 400 hommes, non préparés à ce travail et non armés, donnant lieu à des luttes entre migrants et policiers[2]. La décision est alors prise de construire un mur de 33 km, proche du poste-frontière de Lessovo. Ce dernier est édifié sur les traces du très récent rideau de fer, débute au début du massif du Strandja, dont la topographie boisée et montagneuse favorise la traversée des clandestins, et où 85 % des passages ont lieu[3]. L’efficacité de ce système est constatée (une chute des passages de 44 % en 2014 par rapport à 2013) les autorités bulgares décident de prolonger le mur sur 132 km kilomètres[4].

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3- Entre rival et riverain

Paysages du territoire transfrontalier

Shtit est un petit village bulgare rural d’une soixantaine d’habitants situé à moins de 200 m du nouveau mur. Il est placé sur une petite colline, un cap, qui lui offre une vue surplombant la Turquie et les paysages alentour et confère à l’activité militaire une place stratégique. Dans ce village se trouve la caserne régionale d’où transitent des policiers venus de toute l’Europe.

Ainsi le projet s’est dessiné sur ce territoire transfrontalier.



Végétation locale : un outil de projet

La topographie du site et la ressource en eau induisent ainsi les différents types de végétation. De plus les pays et les différentes pratiques proposent également des différences de gestion de végétation. En effet l’agriculture turque, bien plus mécanisée, laisse peu de place aux ripisylves et aux espaces de pâtures communes. En Bulgarie, autour du village la culture se fait sur de petites parcelles, le reste du territoire étant utilisé en pâture ou sylviculture. La ripisylve semble être le seul espace non cultivé ou productif. Ces espaces font partie d’un système paysan. Les forêts sont pâturées et les arbres recépés ou laissés en petits bosquets. Au début du printemps, chaque pied est taillé pour remonter le houppier et dégager la base.












L’eau vecteur de projet

La topographie vallonnée du territoire est issue des multiples cours d’eau et rivières sèches qui parsèment le site. Le massif du Mont Sakar se meurt ici avant de devenir une plaine dans la Thrace orientale. L’ensemble des eaux de ce territoire fait partie du bassin versant de la Maritza .

Les vallées sont ponctuées de réservoirs collinaires. Ces petits barrages sont des aménagements de moyennes et petites structures hydrauliques sur les cours d’eau secondaires dans les parties amont de grands bassins versants. Il s’agit de digues en terre ou roche compactée avec un déversoir latéral donnant lieu à des retenues d’eau de tailles variables, allant de quelques dizaines de mètres cubes à quelques milliers de mètres cubes et inondant des surfaces de tailles modérées (quelques hectares à quelques dizaines d’hectares). Leurs constructions visent des objectifs à la fois de conservation des eaux et des sols, de protection d’aménagements plus importants à l’aval et de développement local. Dans le territoire d’étude, ces retenues semblent être des réservoirs d’eau pour les agriculteurs qui viennent périodiquement pomper de l’eau, mais également de zones de baignade pour la population locale.

Deux bassins versants sont transfrontaliers sur ce territoire : le bassin de la Calamitsa et celui de la Bagdere. Aujourd’hui le territoire connait un stress lié à l’approvisionnement en eau. Et ce phénomène tendra à s’accroître dans les vingt prochaines années.

Les ressources en eau seront certainement dans les cent prochaines années source de conflits, comme c’est déjà le cas dans d’autres parties du monde. Ce territoire déjà soumis à des tensions, symbolisé a travers la frontière-mur, nécessite une attention particulière. Il est donc important d’anticiper le futur partage de la ressource.

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Riverain : Dérivé du latin rivus : cours d’eau

Qui se tient sur les rives.

Autorisé à faire usage d’un cours d’eau

Rival : Qui prend son eau dans le ruisseau d’un autre




J’espère ici proposer un projet ambitieux, mais aussi rempli d’humilité. Ces trois esquisses nourries de l’analyse et des connaissances acquises permettent une ébauche de projet. Le temps est ici un vecteur essentiel de cicatrisation et de coopération. Il permet d’établir une stratégie à long terme et d’anticiper une future chute du mur. Avec le travail sur l’eau le mur devient perméable. Les trois temps du projet façonnent un réseau hydraulique qui permet l’échange et l’union. Le cycle du territoire transfrontalier est repensé, non pas par la frontière, mais par le partage d’une culture commune de l’eau. La route cyclable permet de mettre en lumière le site et de proposer une nouvelle dynamique d’arpentage et de découverte. Ainsi la Turquie et la Bulgarie pourraient penser à une coopération transfrontalière.





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